Ryoji Ikeda

particules élémentaires

Les performances audio-visuelles de Ryoji Ikeda nous projettent dans le futur. Avec leurs perspectives géométriques et leurs données mathématiques accentuées par des bruits blancs et un jeu de contraste, souvent à la limite du stroboscopique, sur des lumières où prédomine le noir et blanc, ses créations vidéo-graphiques ne cessent de surprendre le public.

Pièce après pièce, Ryoji Ikeda construit un univers sériel et hyper-technologique qui symbolise la rencontre entre l'art et le numérique. Alors que de nombreux artistes "multimédia" focalisent sur l'informatique et ses avatars, Ryoji Ikeda trouve souvent sa source d'inspiration dans la physique quantique. Les écrans sur lesquels se cristallisent ses projections ressemblent un peu aux détecteurs de particules élémentaires d'une expérience nucléaire et les lignes de fuites qui clignotent sur la bande-son sculptée au scalpel dessinent d'inquiétantes équations.

Tout ce décorum high-tech se retrouve dans Superposition. Créée en 2012 et actuellement toujours présentée dans de nombreux lieux et festivals, cette performance "met en scène" deux personnages chargés d'interpréter la symphonie algorithmique de Ryoji Ikeda — une exception la manière de présenter ses créations. Conçue comme une allégorie où se mêlent inscriptions abstraites et images-satellites, cette installation mobilise une vingtaine d'écrans. Ryoji Ikeda nous propose ainsi une vision macro et microscopique du monde.

Le fil conducteur de cette performance étant, comme son nom l'indique, axé autour de la notion de "superposition" qui désigne, en physique nucléaire, les états multiples et simultanés que peuvent acquérir certaines particules subatomiques… Un principe qui permet de démultiplier les télescopages d'images, de sons, de lumières et de messages cryptiques… Ainsi, aux éléments visuels parcellaires répond une musique fragmentée à l'extrême, composée de bleeps, glitches et autres clicks…

Comme pour la plupart de ses créations, Ryoji Ikeda décline Superposition dans plusieurs formats, avec des variations. Ainsi, en parallèle à cette performance, il propose aussi une version "concert". Un live-set intitulé Supercodex dont il existe également un disque paru sur Raster-Noton; label-phare de ce qu'il est convenu d'appeler la "microscopic-music". Récemment, en 2014, Ryoji Ikeda a réalisé un "upgrade" de Superposition intitulé Supersymmetry.

Sachant que le concept de "supersymétrie" est également un postulat de la physique nucléaire concernant les relations et interactions des particules élémentaires agissantes dans les bosons (le plus célèbre étant celui de Higgs…). Sans rentrer dans plus de détails, faute de bagage scientifique suffisant, on soulignera que Ryoji Ikeda bénéficie actuellement d'une résidence au CERN (Centre Européen pour la Recherche Nucléaire) après s'être vu décerner en septembre 2014 le Prix Collide@CERN au prestigieux festival Ars Electronica de Linz, en Autriche.

Comme le détecteur de particules du CERN et son gigantesque accélérateur destiné à provoquer des collisions (collide), Supersymmetry semble démesurée (au propre, comme au figuré). Co-produite par le Lieu Unique (Nantes) et le YCAM (Yamaguchi Center for Arts and Media au Japon), cette installation se subdivise en deux modules baptisés experiment et experience. La première pièce est constituée de larges plaques lumineuses d'un blanc immaculé sur lesquels glisse une pluie de granulés noirs qui se détachent puis rassemblent comme une nuée d'insectes.

La deuxième est véritablement une experience sensorielle puisque Ryoji Ikeda plonge l'auditeur/spectateur dans un tunnel bordé d'une quarantaine d'écrans synchronisés sur lesquels défilent des diagrammes et des mots agencés de manière aléatoire, et qui oscillent sous l'impulsion de lignes rouges et carrés noirs, de cliquetis aigus et d'infrabasses…

Si l'on excepte ses toutes premières installations, A [for 6 silos] et db, qui ressortent plus de l'art monumental et sonore, que des installations interactives et performances audio-visuelles, on retrouve là tous les éléments et le minimalisme clinique à l'œuvre dans les précédentes créations de Ryoji Ikeda. En particulier Systematics, Datamatics et Test Pattern. Curiosité qui éclaire sa démarche artistique, les éditions Dis Voir ont publié un livre cartographiant les étapes successives des traitements et manipulations sonores qui interviennent dans Dataphonics. Une pièce commissionnée dans le cadre de l'Atelier Radiophonique de France Culture

Né en 1966 à Gifu au Japon, résidant et travaillant depuis de nombreuses années en France, à Paris, Ryoji Ikeda a commencé par disséquer le son lorsqu'il faisait partie de Dumb Type. Un collectif japonais créé au milieu des années 80s et qui réunissait des graphistes, vidéastes, musiciens électroniques, danseurs, etc. Précurseur, Dumb Type croise spectacle vivant, projection vidéo et installation multimédia, en portant un regard ironique et critique sur notre monde en voie de numérisation.

Ryoji Ikeda s'est distingué par l'environnement sonore et musical qu'il apportait aux créations du groupe. Ses premières compositions réalisées en son nom propre apparaissent une dizaine d'années plus tard. En Europe, c'est le label Touch — dédié à la musique expérimentale, à l'electronic-noise et au field-recording — qui le fait connaître auprès d'un public averti avec les albums +/- et. C'est sur ce même label que paraît ensuite Matrix, peut être son disque le plus abouti, qui lui vaudra déjà un premier prix (Golden Nica) dans la catégorie Digital Musics & Sound Art à Ars Electronica en 2001 !

Après, c'est donc principalement sur Raster-Noton, la plateforme pilotée par Olaf Bender, Frank Bretschneider et Carsten Nicolai que seront publié ses autres albums (Dataplex, Test Pattern, Dataphonics et Supercodex); extensions musicales de ses performances et installations arithmétiques. En suivant cette logique, on peut raisonnablement espérer que Supersymmetry sera complété par un live et un enregistrement audio; en attendant la suite de cette nouvelle série amorcée avec Superposition.

Laurent Diouf
non-publié, 2014

Photos: D.R.
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