science-fiction : questions et perspectives

Épidémie virale, crise économique, racisme administratif, guerres inter-régionales, cataclysmes, apocalypse nucléaire… La cuvée 2011 sera exceptionnelle si l'on en juge par ce premier trimestre déjà très bien fourni. On salive d'avance à l'idée que ce ne soit qu'un début… Dans l'immédiat, sous nos latitudes, ce sont les retombées radioactives qui, plus que les sabordages technologiques et politiques, excitent notre imagination… Et pourtant, comme le rappelait récemment Jean-Pierre Andrevon dans un article paru dans Libé le 17 mars, hors des ultimes conflagrations guerrières signant la fin d'un monde, peu d'écrivains ont conjugué la question atomique à la science-fiction. Seule une poignée de trublions "militants" extrapolèrent quelques scénarii catastrophes, poussant à l'extrême les ramifications sociales de nos pires cauchemars.

Vous souvenez-vous ? La première manif importante contre le nucléaire (civil) au Bugey en 71… Et en 77, à Malville ? 70000 personnes, des hordes de CRS, un mort… Attends, tu nous parles de quoi là ? De science-fiction ou d'actualité ?… Je vous parle d'un temps où la SF et l'actualité savaient se donner la main, à travers la découverte toute neuve de l'écologie, portée par un journal dont on devrait se souvenir : La Gueule Ouverte. Parce que la SF, ce n'est pas que Donjons et Dragons ou La Guerre des Étoiles. Ça, c'est l'écume, la mousse. La SF, c'est d'abord le présent qui regarde le futur (JP Andrevon in Libération, 17/03/11).

Et "les autres", ils en pensent quoi de la science-fiction ? Réponse partielle au travers d'une série d'entretiens proposés dans le n°61 de la revue Bifrost qui dressent un état des lieux à l'orée de cette nouvelle décennie. À tout seigneur, tout honneur : c'est Gérard Klein qui nous fait part en premier de son opinion sur l'édition, les genres et les styles, les particularismes selon les pays et, bien sûr, les auteurs qui comptent à ses yeux. Il livre un diagnostic guère engageant, tant la SF est gangrénée par des publications médiocres (mauvais space-opera, tendance militaro et fantasy tous azimuts pour adolescents attardés…).

Une situation qui devrait néanmoins, à terme, déboucher sur une sorte de "darwinisme éditorial". Au passage, Gérard Klein mentionne "le dernier grand livre" qu'il ait lu : May le monde de Michel Jeury (chez Robert Laffont / Ailleurs & Demain). Tout en déplorant également ce trop-plein de "fantaisies", Pierre-Paul Durastanti porte un regard plus clinique sur cet état de fait en soulignant que la SF n'a pas forcément comme unique vocation la prospective et l'analyse sociale. Sa dimension "romantique" de productrice d'images, de dépaysement, de distraction, est  souvent déconsidérée.

Serge Lehman fait preuve, quant à lui, d'un recul "métaphysique" par rapport aux thématiques SF et au monde dans lequel on vit : si les trente dernières années nous ont appris une chose, c'est que la société peut à tout moment subir l'impact d'une innovation technique et s'embarquer dans une direction imprévue, avec des effets perceptibles dans un temps très court; en ce sens, son potentiel de réinvention n'a jamais été aussi élevé et, paradoxalement, ce pourrait être un problème pour la science-fiction. C'est un truisme de rappeler que le genre n'a pas prévu la percée de l'ordinateur personnel ni le réseau mondial; les cyberpunks se sont développés en même temps que le phénomène et lui ont donné sa forme mythique, mais ne l'ont pas anticipé. Roland C. Wagner, Fabrice Colin et Gilles Dumay complètent ce tableau avec leurs regards croisés. Claude Ecken privilégiant une approche quantique de la SF pour en traquer l'onde de choc…

Laurent Diouf
Digitalmcd.com, avril 2011

Bifrost #61, La Science-Fiction : questions et perspectives

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