Les aventuriers du RMI

Revenu Minimum d'Insolence

L'heure n'est peut-être plus à l'attaque frontale, ni à la guerre sociale de position (barricade) car le combat politique actuel est devenu mondial et présuppose le mouvement, l'annexion du virtuel et la création de bases de repli (cf. Hakim Bey et consorts). Cela dit, des slogans "élémentaires" nés de luttes passées restent évidemment pertinents. En particulier l'incontournable sentence proto-situ : ne travaillez jamais !

Rares sont ceux qui se hasardent dans cette voie par conviction. On rappellera, juste pour le fun, le désarroi de Cioran lorsqu'il fut déchu de son statut d'étudiant à quarante ans bien sonné (!); statut qui le préservait (chichement) de la "servitude volontaire". Pour les autres, sauf à être rentier ou "travailleur de la nuit", l'exercice est périlleux. Et il a fallu attendre longtemps avant qu'un maigre filet de sécurité matérielle se mette en place au siècle dernier, en 1988. Au départ, les technocrates pensaient que cette aumône, le RMI, ne concernerait que les "sans". Sans travail, sans diplôme, sans domicile…

Ensuite sont apparues d'autres catégories de bénéficiaires, plus versatiles, moins corvéables : artistes, "intellectuels précaires" et autres surdiplômés en jachère… Catégorie à laquelle appartient celui qui nous raconte les frasques de Georges Wesson, à savoir Jérôme Akinora qui, selon la notice biographique, a suivi de longues études universitaires, dont il ne tira pourtant aucun parti professionnel …/… préférant continuer sa vie à pied et arpenter des chemins de traverse pour devenir son propre sujet d'expérimentation.

En effet, son livre transpire le vécu. Notamment dans la description d'entretiens avec les sbires du Bureau de l'Aide Sociale, pointant par là le gouffre paradigmatique qui sépare les "pour l'emploi" des sans-emploi… Un livre au ton sarcastique, humoristique, voire pataphysique lorsque son protagoniste entreprend d'appliquer une minutieuse logique comptable à sa stratégie de survie.

Une vie d'érémiste spartiate, forcément spartiate, qu'il accepte avec stoïcisme; y compris par rapport aux regards extérieurs. D'autant que l'on peut toujours donner le change : baigné de lumière, mon intérieur dépouillé passait pour zen. Bref, l'éternelle question l'être et (ou) de l'avoir… Mais une existence qui révèle une rupture profonde, qui peut commencer par la mise en cause des rites initiatiques (voiture, première cigarette et rapport amoureux) auquel l'homo economicus se livre avant d'entrer docilement dans la société laborieuse...

C'est donc le récit d'un délavage de cerveau qu'entreprend Jérôme Akinora, tant le culte du travail, cette "valeur en voie de disparition", continue à régir nos mentalités d'aliénés. Et auquel seule une poignée d'intrépides aventuriers essaient de se soustraire. La perspective de travailler huit heures par jour sous les ordres d'un salarié hargneux n'a plus rien d'intéressant. À cet égard, le RMI pourrait n'être que le brouillon d'un revenu universel, qui verrait chaque citoyen toucher un minimum vital de sa naissance à sa mort, sans que ce versement soit lié à une quelconque profession de foi (du genre : "oui, je veux m'insérer par le travail salarié, je le veux très fort")…/… Ce qui est sûr, c'est que de leur côté, semestre après semestre, des milliers d'érémistes continuent de signer docilement leur déclaration d'amour au plein-emploi, en attendant que leur nombre précipite la mutation du RMI en allocation universelle.

Bon, c'est vrai, certains tombent en cours de route, mort au champ d'honneur en rêvant de travail, de famille et peut-être même de nouvelle patrie : j'avais du mal à m'associer à sa ferveur. Les CV partaient comme autant de missiles dans toute la région, les entretiens professionnels se succédaient, dont elle ressortait chaque fois revigorée, son maquillage s'affirmait chaque jour un peu plus. Nous prîmes intérieurement congé l'un de l'autre. Pour sa part, Georges Wesson, après un bref instant d'hésitation, saura résister à la tentation et passera définitivement de l'autre côté du miroir.
À lire impérativement pour parachever son "potentiel de situation"…

Laurent Diouf
2004

Jérôme Akinora, Les aventuriers du RMI (L'Insomniaque, 2004)

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