Spectra Ex Machina

SPECTRA EX MACHINA
A Sound Anthology Of Occult Phenomena 1920-2017 Vol. 1
(Sub Rosa)

Ce n'est pas la première fois que l'on entend l'écho de phénomènes paranormaux et assimilés. D'ailleurs plusieurs documents rassemblés sur cette anthologie ont déjà fait l'objet d'enregistrements. On se souvient surtout des E.V.P. (Electronic Voice Phenomena), archives brutes rassemblées par Konstantin Raudive ou Raymond Cass notamment et, à leur suite, des travaux d'archéologue sonore de Leif Elggren, déambulant dans des maisons hantées tout comme Michael Esposito. Mais la particularité de ce recueil c'est d'élargir le spectre, si l'on ose dire, de ces supposées communications avec l'au-delà.
Récits d'expériences, séances de spiritisme, captations sonores… Ces documents audio, plutôt courts, datent pour l'essentiel des années 30, 60 et 70. Avec quelques pépites. À commencer par Sir Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes qui a versé dans le spiritisme suite à une dépression après de nombreux deuils. Son témoignage enregistré quelques mois avant sa mort ouvre cet étrange cabinet de curiosités sonores. Mais les vraies bizarreries arrivent après avec un "dialogue" un brin agité, dominé par une voix nasillarde. Les deux voix sortent de la bouche d'une dénommée Gladys Osborne Leonard : la sienne et celle de l'esprit d'une Indienne nommée Feda. On a envie d'y croire, mais certains murmurent que les propos tenus ne sont que le reflet de l'inconscient du médium par ailleurs ventriloque…
Sur la piste suivante, on a droit à une respiration haletante, dérangeante… Ce n'est pas la fête du slip, mais un phénomène de transe, entre rituel vaudou et plan-séquence de l'exorciste, mené par Rudi Schneider qui officiait avec son frère dans la psychokinésie et la traque aux ectoplasmes. On retrouve aussi le célèbre magicien Harry Houdini qui a toujours combattu les charlatans, mais s'échina à parler avec sa mère disparue… À sa mort, c'est sa veuve qui tente d'entrer en contact avec lui, ce qui lui vaut de figurer dans ce bestiaire d'outre-tombe.
Dans ce tableau des trépassés célèbres surgit également Oscar Wilde, échappé de la collection de "voix directes" de Leslie Flint (il en compte plus de 500, parmi lesquelles celles de Gandhi, Chopin et Pasteur). Surgissent aussi quelques voix en français. Les plus de cinquante ans reconnaîtront sans doute celle de Ménie Grégoire au détour d'un extrait d'une émission de radio en 1976, consacrée au spiritisme avec guéridon et verre qui se déplace sur des chiffres et des lettres. D'autres voix françaises se font entendre, en particulier celle d'un petit garçon qui décrit les phénomènes étranges survenus dans la maison hantée de ses grands-parents. La puberté du boutonneux y étant malgré tout pour beaucoup… Ce cas, comme beaucoup d'autres, a été recueilli par Denys Renaudin et figure même dans un document déclassifié de la CIA !
Des bruits d'objets déplacés et la manifestation d'esprits frappeurs (d'un petit tapotement comme du morse à des coups franchement affirmés) résonnent aussi dans cette anthologie. Sur ce plan, Émile Tizané, connu pour son double statut de gendarme et de chasseur de fantôme, établit un distinguo quant au mode opératoire des fantômes français et anglais… Perfide Albion qui cherche toujours à faire bande à part… Mais ce qui frappe le plus, justement, c'est la tonalité des voix enregistrées.
Au-delà des techniques d'enregistrement qui ne permettaient pas à l'époque de restituer fidèlement le son et qui est donc souvent parasité, brouillé et étouffé, c'est toute une gamme vocale très marquée qui défile : voix déformée d'un adolescent, voix pleurnichante d'Annemarie Schaberl autour d'une sombre histoire de poltergeist, voix spectrale des temps anciens, voix rauque et déformée, voix hystérique évoquant les délires d'Artaud, borborygmes, râles et cris encore dans un autre exorcisme pratiqué par le Père Arnold Renz (celui-là même qui servira de modèle pour le film d'horreur L'exorcisme d'Emily Rose) sur une supposée possédée qui finira par mourir des suites de maladies et privations…
Voix grésillante, hésitante et chuchochante enfin, dans le dialogue très inquiétant que Jack Sutton entame avec une âme en peine près d'un aérodrome en Angleterre en 1980. On comprend qu'il y a eu un crash. La conversation se poursuit ainsi : vous m'entendez… vous êtes resté "derrière"… vous êtes mort dans cet avion… vous vous en souvenez… (un flottement semble marquer la stupeur du spectre, un comble !!!)… mais n'ayez pas peur… laissez vous emportez… vous n'appartenez plus à ce monde…

Laurent Diouf
wtm-paris.com, avril 2020

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