Pierce Warnecke

Artiste sonore et musicien, Pierce Warnecke conçoit des installations et se produit live lors de performances audio-visuelles. C'est à ce titre qu'il partageait l'affiche du festival Elektra de Montréal, aux côtés de Franck Bretschneider et Matthew Biederman pour deux performances distinctes. Basé pour l'essentiel à Berlin, Pierce Warnecke est également à l'origine du festival expérimental Emitter Micro qui se tient tous les 2 ans; la dernière édition s'étant déroulée en mai dernier. Il nous parle de ses collaborations, pratiques artistiques et projets en cours.

Frank Bretschneider & Pierce Warnecke, SINN + FORM @ Elektra 2015. Photo: © Gridspace.

Pour commencer, comment s'est opéré le contact avec Frank Bretschneider ?
Assez naturellement… Nous avions chacun présenté des performances solo à FEED, un événement régulier au Kunst Werke de Berlin [institut d'art contemporain]. Il avait bien aimé ma performance et on a évoqué la possibilité de travailler ensemble. Après quelques rencontres, on a développé une idée, mais surtout on s’est très bien entendus. C’est quelqu’un de très sympa. Et je respecte beaucoup son travail, qui m’a forcément influencé de par sa nature multimédia.

Pourquoi as-tu choisi cette sorte de "lanterne magique" pour générer les visuels de votre performance, et non pas un graphisme numérique ?
La collaboration était axée autour du nouvel album de Frank, SINN+FORM. Et on a voulu quelque chose de différent que le graphisme numérique ultra synchronisé de ses lives antérieurs. J’utilise depuis un moment les objets en rotation, mais jamais des images en rotation. Donc, on a pensé a une sorte de Dream Machine revisitée par les technologies modernes; c'est-à-dire avec des vitesses, directions et luminosités contrôlables par ordinateur. Les motifs graphiques imprimés sont de Frank, qui les a beaucoup utilisés numériquement pour ses projets AV solo. Avec cette machine, on a réussi à les retravailler dans une approche plus analogique, mais aussi plus imprécise et plus sale.

En dehors des variations et surprises propres à chaque live, est-ce que c'est une performance que vous faites - ou voulez faire - évoluer, ou est-ce que c'est un projet qui est achevé dans cette forme ?
C’est une bonne question, je vais demander à Frank 🙂 Je pense que le système laisse de la place pour l’évolution, et il y a pas mal de choses que nous n’avons pas essayées (par exemple, des motifs avec profondeur). Mais il est vrai que nous l’avions conçu spécifiquement pour cet album SINN+FORM. Et nous travaillons déjà sur une nouvelle idée de collaboration qui sera un peu différente — je ne peux pas en dire plus pour l’instant, à part que cela sera plus électronique et bien plus coloré !

Dans quelles circonstances as tu été amené à travailler avec Matthew Biederman ?
Là aussi, nous avions chacun exposé une installation au Bozart Festival (BEAF) à Bruxelles en 2013 (moi Scanner Darkly et Matthew Event Horizon). Quand on fait une installation, que l'on est sur place et que tout marche comme prévu (ce qui n'est pas forcément toujours le cas), on peut se retrouver avec pas mal de temps libre. C’était le cas pour nous 2 cette fois-ci. On a passé pas mal de temps ensemble, et on est restés en contact. Cette collaboration est un challenge, car il est à Montréal, mais on y arrive plutôt bien : comme il travaille la vidéo et moi le son, nous sommes un peu plus indépendants. Mais on cherche régulièrement des résidences de 2 semaines pour travailler ensemble, car on ne peut pas tout faire à distance.

Frank Bretschneider & Pierce Warnecke, SINN + FORM @ Elektra 2015. Photo: © Gridspace.

Concernant tes installations, est-ce qu'il y a un principe général qui te guide dans la création ou est-ce que tu renouvelles ton approche à chaque réalisation ?
J’utilise bien sûr la technologie, mais je préfère qu’elle soit voilée, peu apparente. J’aime l’idée d’une narration omniprésente, mais pas explicite. Je préfère quand quelqu’un passe beaucoup de temps devant une pièce et qui sort en disant "je ne crois pas avoir compris" que quelqu’un qui "comprend" au bout de quelques minutes et passe à l’installation suivante. Si on peut considérer qu’un œuvre d’art pose une question, je dirais que je préfère alors que cette question amène à d’autres questions plutôt qu’a une réponse…

Il semble y avoir un fil rouge dans tes installations (Path Ends, Interpretive Panpsychism…), dans le fait d'utiliser des objets et matériaux bruts… ? 
Oui, je trouve beaucoup de richesse dans les textures et formes d’objets trouvés. Je pense que c’est une extension de ma pratique sonore et visuelle que d’explorer un lieu et d’en récolter des images, des échantillons sonores… Un jour, je suis aussi revenu avec des objets physiques en me disant qu’en les isolant dans le noir au studio, je pourrai les explorer de manière plus contrôlée (au niveau des mouvements de caméra, des angles et positions de la lumière). Depuis, je garde toujours cette pratique !

Pourquoi cette orientation vers les installations, les performances audio-visuelles, le traitement du son et de l'image, plutôt que vers un parcours de musicien plus conventionnel (concert, disque, djing…) ?
En fait je suis plutôt musicien d’origine. J’ai étudié la musique électronique, mais j’ai toujours eu une fascination pour l’image. Depuis de nombreuses années, je travaille aussi la vidéo et le rapport son/image, mais de manière très empirique et en autodidacte. Un peu le contraire de la musique donc. Le travail de Yroyto et Transforma m’a beaucoup inspiré pour la création en temps réel, l’utilisation de la caméra, de lumières, d’objets. La performance audiovisuelle — comme la musique improvisée — m’a beaucoup attiré, car il y a une véritable dimension "live", une prise de risque, mais aussi une honnêteté que je ne trouvais plus avec l’electro. Les années passées à Berlin m’ont éloigné de la production electro/electronica, que je poursuivais beaucoup avant. Aujourd'hui, je suis bien plus intéressé par des sonorités extrêmes très lentes, très rapides, très fortes, à peine perceptibles, répétitives ou pas du tout, par des situations musicales qui n'offrent pas de zones de confort. Je me suis donc rapproché de la musique électro-acoustique et de la musique improvisée, et un peu de la noise aussi.

Matthew Biederman & Pierce Warnecke, Perspection2 @ Elektra 2015. Photo: © Gridspace.

Où en es-tu par rapport à la production musicale ? Est-ce que tu as d'autres projets à venir ?
Je viens de terminer un projet solo de composition plutôt épars (mais avec quelques parties bien extrêmes) avec des sons très mélangés : synthèse simple, notes tenues d’instruments acoustiques, field recordings, manipulations d’objets, qui s’appelle Mem_ry Fr_gm_nts. À l’origine justement, c’était une performance audiovisuelle créée pour le festival MadeiraDig en 2013. C’est la première fois que je tente une sorte de "reverse engineering", de tirer d’une performance une création sonore sur disque. Sinon je mets les touches finales sur 2 projets collaboratifs un peu plus "noisy". Le premier est avec Anton Mobin et Kris Limbach, suite à de longues sessions d’enregistrement avec absolument tout type de matière sonore (cassettes, mixer no-input, larsens, field recordings, synthés, objets, radios)… L’improvisation à trois n’était pas transcendante, mais la matière était vraiment très intéressante. Du coup, on a chacun édité, recoupé et remonté des pièces è partir de cette matière initiale… on est très très contents du résultat. Enfin, avec Rodolphe Loubatiere, percussionniste basé à Genève, nous finissons notre deuxième album, axé caisse-claire + électronique.

Tu es aussi aussi aux manettes du festival expérimental berlinois Emitter Micro, avec Kris Limbach : quels sont l'objectif et la ligne directrice de ce festival ?
Avec Emitter Micro, on veut simplement proposer un festival local, expérimental, mais sans prétention. Nous avons très peu de moyens alors on essaie d’inviter des artistes de Berlin ou de passage dans la ville. Nous essayons toujours de proposer un lieu inédit, qui change des endroits habituels. L'édition précédente avait investi la Musikinstrumenten Museum. Cette année c'était la TaborKirsche; une grande église plongée presque dans l’obscurité ! Nous mélangeons artistes établis et émergents, musiques électroniques et acoustiques, improvisées ou écrites, avec ou sans visuels…

Pour finir, tu as d'autres collaborations et/ou projets en cours ?
Pour 2016, je prépare une performance AV avec KETEV, un ami de Berlin. Le projet est développé avec le Festival Mirage, où nous le présenterons. Il y aura des moteurs, des miroirs, des lumières et de la fumée… Avec Louis Laurain, un ami un proche ami parisien, nous travaillons sur une installation, ou plutôt une sculpture sonore de très grande dimension qui utilisera un ensemble hétéroclite d’objets et de différents moyens pour les activer (moteurs, enceintes, aimants, ressorts). Cela s’appelle Clusters.

propos recueillis par Laurent Diouf
digitalarti.com, juillet 2015

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