On se souvient du "dernier hippie" qui, après s'être grillé les neurones et le lobe frontal à coup de buvards, vivait dans une sorte de présent perpétuel, redécouvrant sans cesse la musique de son groupe préféré, le Grateful Dead. Mieux encore, à l'écoute de vieux enregistrements, il avait l'impression d'entendre des sons futuristes. Peut-être la musique de l'avenir, disait-il…
C'était un des nombreux "clients" que le neurologue Oliver Sacks, auteur de L'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, présentait dans son ouvrage Un anthropologue sur Mars. Rappelons qu'il "hérite" de patients dont le comportement, en dépit de symptômes parfois spectaculaires, ne relève pas de la psychiatrie, mais est la conséquence d'accidents ou de maladies dégénératives. Pas de psychose, ni de névrose donc, même si le vécu de telles situations peut avoir des répercussions psychologiques graves, mais un fonctionnement alternatif du cerveau dû à des lésions irréversibles qui induisent — et dans certains cas "réactivent" — d'autres perceptions, facultés, etc.
Dans Musicophilia, sa dernière étude parue en France au début de cette année, il présente des hommes et des femmes pour qui la musique est devenue, bon gré mal gré, l'élément central de leur vie cérébrale. Une galerie de portraits, tous plus saisissants les uns que les autres. Le premier est celui d'un chirurgien orthopédique, indifférent à la création musicale jusqu'au jour où il a été foudroyé alors qu'il se trouvait dans une cabine téléphonique. La violence du choc lui cause une impression d'OBE (Out of Boby Experience, en français une sortie "hors corps"). Il s'en remet, mais éprouve progressivement une irrépressible envie de jouer du piano. Cette nouvelle passion va le hanter, le dévorer au point qu'il deviendra virtuose à 40 ans passés, donnant même des récitals !
À l'inverse, certaines personnes victimes d'épilepsie peuvent avoir la hantise de se retrouver confrontées à certains sons ou fréquences susceptibles de leur déclencher des crises. Dans un autre registre, on notera aussi des cas d'hallucinations musicales (cela se soigne très bien avec de la quétiapine…) et les inconvénients engendrés par le fait d'être doté dune oreille absolue (surtout lorsque l'on souffre de surcroît d'acouphènes !) ou, à l'inverse, d'être affecté d'amusie cochléaire (i.e. perception fausse du son, des gammes).
Sans parler des hypertrophies en tout genre, à commencer par celle dite des "musiciens savants" (comprendre les autistes ou arriérés mentaux prodigieusement doués dans le domaine musical), de la synesthésie musicale (perception chromatique des sons), etc. Ou des "associations" fertiles entre mémoire, mouvement et musique (ou la "musique du corps" et son interaction avec l'esprit). Et de quelques cas encore plus troublants comme celui du pianiste manchot qui composait avec son membre fantôme (ah ah ah… euh, pardon, c'est nerveux).
Laurent Diouf
publié dans MCD #54, sept-oct. 2009
Oliver Sacks, Musicophilia : la musique, le cerveau et nous (480 pages, Seuil, 2009)